Wilma Mankiller : éloge de la patience et de l'écoute 🪶
Leçons communautaires de la première femme cheffe de la nation cherokee
Hello,
Comment vas-tu ? J’espère que tu es, comme 99 % de la population française, aux abonnés absents en ce doux mois de mai 🌺
Pour ma part, je suis récemment devenue tata d’un jeune berger américain (oui, on est complètement gagas dans la famille), et je passe ma vie à l’admirer et essayer de le voler à ses parents. Et de temps en temps, j’écris une newsletter ✍️
Et du coup, l’édition d’aujourd’hui part d’un livre que je lis en ce moment : Révolution Intérieure, de Gloria Steinem (icône féministe), qui parle du rôle de l’estime de soi dans les luttes et la revendication des droits des minorités. Passionnant ! Gloria partage dans son livre l’histoire de Wilma Mankiller et de la communauté cherokee - et au passage, nous offre une masterclass communautaire. Je ne t’en dis pas plus et te laisse découvrir la leçon qu’offrent ces femmes inspirantes…
Bonne lecture ! Je retourne à mon nouveau passe-temps préféré :
Noémie
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Le case study : Wilma Mankiller : éloge de la patience et de l’écoute
La veille du Community Builder : des articles glanés pour toi et les actus de la planète communautés 🪐
Wilma Mankiller : une vie hors normes, ancrée dans l’activisme
Le nom « Wilma Perle Mankiller » ne te dit peut-être rien. Pourtant, la femme qui l’a porté, née en 1945 et décédée en 2010, a marqué l’Histoire avec un grand H, et tout particulièrement celle des Nord-Amérindiens, en devenant la première femme à occuper le rôle de cheffe de la nation cherokee.
Née dans l’Oklahoma, la sixième d’une fratrie de onze frères et soeurs, dans un foyer relativement délabré dépourvu d’électricité et de plomberie. À l’âge de onze ans, sa famille est contrainte de déménager à San Francisco dans le cadre de la politique de relocalisation du gouvernement américain. À vingt-quatre ans, en 1969, elle est témoin de l’occupation pacifique de la célèbre île (et prison) d’Alcatraz, dans la baie de San Francisco, par des activistes amérindiens.
C’est le début de son engagement militant en faveur de la communauté amérindienne, mais aussi des droits des femmes. Elle est très influencée par des mouvements comme le Red Power Movement, ainsi que le women’s movement (auquel appartient également 'l’icône féministe Gloria Steinem).
Après près de 15 ans de mariage, elle divorce, revient s’installer avec ses enfants dans l’état de l’Oklahoma, et décide de fonder le Département du Développement Communautaire de la nation cherokee (Community Development Department for the Cherokee Nation), avec une conviction forte issue de ses années d’activisme : la communauté permet de fédérer et d’amener ses membres à travailler collectivement, pour le bien commun.
Ecouter pour créer du lien : l’histoire de la communauté cherokee
Son premier projet l’emmène à Bell, une petite ville perdue qui compte quelques centaines de foyers de résidents cherokees. Dans son livre « Une Révolution Intérieure », Gloria Steinem raconte l’histoire de la transformation de Bell :
À Bell, petite bourgade d'une zone fruste et rurale de l'est de l'Oklahoma, où vivent environ trois cents familles en majorité cherokees, la scolarité ne dépassait pas le collège, l'accès à l'eau courante était peu répandu, les conflits étaient nombreux et la désolation généralisée.
Dépendants des aides du gouvernement et traités comme s'ils étaient invisibles pour le monde extérieur, les habitants en étaient venus à se sentir impuissants face à leur sort - des adultes affligés de toutes les vulnérabilités de l'enfance et privés de ses satisfactions. Les rares personnes qui réussissaient à s'en échapper avaient souvent honte d'admettre qu'elles avaient vécu à Bell.
Lorsque Wilma Mankiller, une leader cherokee, annonça vouloir y lancer un projet de renouveau communautaire, elle reçut deux avertissements de personnes qui connaissaient l'endroit : premièrement, « ces gens-là » ne travailleraient jamais, et encore moins de façon bénévole, pour résoudre leurs problèmes; deuxièmement, elle ne devait pas rester en ville après la tombée de la nuit.
Extrait de Une Révolution Intérieure, Gloria Steinem
On a vu mieux comme auspices pour accompagner le lancement d’un projet…
D’ailleurs, Wilma Mankiller essuie non pas un, mais deux, voire trois échecs plutôt retentissants. Gloria Steinem raconte :
« Malgré tout, elle afficha des avis en cherokee et en anglais pour inviter la population à une réunion municipale sur le thème : « Comment voudriez-vous voir Bell dans dix ans ? »
Personne ne vint.
Elle annonça une autre reunion.
Une poignée de residents se présenta mais seulement pour se plaindre.
Elle en convoqua une troisième.
Convaincus maintenant qu'elle voulait réellement écouter, une dizaine d'habitants s'y rendirent. »
Extrait de Une Révolution Intérieure, Gloria Steinem
Cette histoire m’a énormément marquée - parce qu’elle illustre parfaitement une réalité simple mais puissante : avant de lancer une communauté, il faut s’intéresser sincèrement à son public cible, et faire preuve d’écoute.
Et quand je dis écoute, je ne parle pas de l’analyse marché qu’on mène uniquement pour confirmer des hypothèses conçues en vase clos, avec la direction ou l’équipe marketing.
Écouter sincèrement, et se être prêt(e) à entendre ce que la communauté a à dire : voilà une qualité que les Community Builders doivent travailler - car avancer en suivant une feuille de route qui n’a pas été confrontée à la réalité de ton audience cible, c’est créer les conditions de l’échec !
Pire : demander à la communauté son avis, mais ne pas tenir compte de ce dernier, c’est envoyer un signal négatif. C’est dire, quand on lit entre les lignes « je fais comme si, mais votre avis ne compte pas vraiment. »
Rien de pire pour la communauté - un manque d’écoute et une envie d’aller trop vite déboucheront souvent sur un délitement de l’engagement.
De l’écoute à l’action : embarquer les membres dans un projet collectif
L’histoire ne s’arrête pas là pour les habitants de Bell ! Après la troisième réunion, Wilma Mankiller pose aux participants une question simple : « Qu’est-ce qui pourrait transformer le plus cette communauté ? ».
Contre toute attente, les habitants se concentrer sur le raccordement de chaque foyer à une alimentation en eau. Wilma propose alors à la communauté de Bell un deal : elle trouvera les experts, les financements fédéraux et les ressources nécessaires au projet. Mais les habitants doivent construire eux-même le réseau de collecte de l’eau, et doivent participer à la levée de fonds.
Petit à petit, le groupe se développe, les médias commencent à parler de l’initiative sous un jour positif, les habitants non amérindiens de Bell s’intéressent au projet. Famille après famille, le groupe s’agrandit jusqu’à englober la quasi totalité des habitants de Bell. Et, comme l’écrit Gloria Steinem :
« Pour la première fois, la communauté indienne eut le sentiment d’être visible. Plus important encore, elle l’était devenue grâce à une action qu’elle entreprenait pour elle-même. »
Extrait de Une Révolution Intérieure, Gloria Steinem
C’est la deuxième précieuse leçon de la communauté de Bell : l’engagement se construit et se fortifie dans l’action concrète et la coopération. Au-delà de créer et animer une communauté, chaque Community Builder doit se poser la question :
« Comment puis-je inviter mes membres à contribuer à la communauté ? »
Comment rendre le tout supérieur à la somme de ses parties ? C’est la grande question communautaire, qui, je crois, trouve une forme de réponse dans l’exemple de Wilma Mankiller, qui a fait preuve de servant leadership : elle s’est mise au service de la communauté qu’elle souhaitait accompagner, en offrant aux membres de faire des choix, et en les invitant à agir, à s’engager pour le groupe.
Plutôt que de mener, diriger et cadrer, elle s’est effacée et a facilité les projets de la communauté (notamment en débloquant des financements, en s’appuyant sur ses compétences activistes et légales). Résultat : son leadership au service de la communauté a été reconnu par toutes et tous, à tel point qu’en 1983, elle sera élue à la tête de la nation cherokee.
L’histoire de Wilma Mankiller peut sembler hors sol ou loin des réalités des marques et des organisations d’aujourd’hui, pourtant, si tu lis entre les lignes, elle offre les clés fondamentales de la création de lien entre humains. J’espère qu’elle t’inspirera autant que moi 😉
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🐷 Les secrets de co-création de La Vie. Les Echos s’intérressent au modèle de co-création de la marque de lardons végétaux La Vie, qui imagine ses produits avec sa communauté ! Un bon exemple qui rappelle celui d’Asphalte.
🐶 À la niche. Comment (et pourquoi) créer une communauté de niche ? Sprout Social partage un guide exhaustif sur le sujet - de bons conseils à y découvrir !
✨ Authenticité + communauté. Comment s’appuyer sur la communauté pour valoriser (ou retravailler) l’authenticité d’une marque ? Beauty Matter nous offre une réflexion sur ce sujet ô combien important.
🐜 Small is beautiful. À quoi ressemble le futur des communautés ? The Verge et Vox Media ont mené l’enquête. Verdict : des petites communautés ultra engagées. Voici les grands apprentissages de l’étude (passionnante) :
Les grandes plateformes perdent la confiance des utilisateurs
Les espaces numériques ne sont pas à la hauteur des attentes des individus en termes de connection et de relations authentiques
Le contenu est au coeur de l’engagement communautaire
L’IA est puissante, mais pas toujours la bienvenue dans les communautés
Le futur de la communauté, c’est la petite échelle et une raison d’être forte
C’est tout pour aujourd’hui !
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Voici quelques manières de creuser le sujet des communautés :
Lis mon livre Le pouvoir des communautés (Eyrolles, 2023)
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Super histoire !
"Pire : demander à la communauté son avis, mais ne pas tenir compte de ce dernier, c’est envoyer un signal négatif. C’est dire, quand on lit entre les lignes « je fais comme si, mais votre avis ne compte pas vraiment. »"
Cette phrase résonne beaucoup en entreprise ou l'on bombarde les collaborateurs et managers de pulse surveys mais peu d'actions concrètes et alignées avec leurs retours en découlent...
Cette histoire est super inspirante, je ne connaissais pas Wilma Mankiller, mais c'est exactement ce type de leadership que j'ai en tête pour faire communauté, mais il y a encore trop peu d'exemples comme elle médiatisés. Un grand merci pour ce partage :)
Un peu dans la même veine, au cas où ça peut t'intéresser, Wangari Maathai a aussi créé le Green Belt Movement au Kenya pour reforester leur terre. https://fr.wikipedia.org/wiki/Wangari_Muta_Maathai
Et si tu ne l'as pas vu, il y a un super bouquin de Nina Fasciaux sur le pouvoir de l'écoute dans le journalisme, et comment il peut aider à changer et soigner nos communautés :
https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/mal-entendus-9782228937665